Le nourrissage des mambas

par Charlotte HUBLER / Crédit photos Florian DENIS / Repti Conseils & Formations

Le mamba, ce serpent mythique, est le sujet de cet article sur le nourrissage. S’il y a une activité qui génère de la réflexion, c’est bien l’alimentation de nos animaux. Comment établir les bons protocoles ? Lorsqu’il s’agit d’animaux dangereux, une grande attention sera portée à la sécurité. Lorsque le danger est potentiellement mortel pour le soigneur qui nourrit, un protocole bien pensé devient vital.

Dendroaspis est un genre arboricole strictement africain composé de 4 espèces : Dendroaspis angusticeps (SMITH, 1849), présent en Afrique orientale et australe, Dendroaspis jamesoni (TRAILL, 1843), en Afrique centrale, Dendroaspis viridis (HALLOWELL, 1844) en Afrique occidentale, et Dendroaspis polylepis GÜNTHER, 1864 présent en savane, dans toute l’Afrique intertropicale.

C’est à Planet Exotica que nous allons observer des nourrissages de mambas. Il s’y trouve une des plus grandes collections de mambas d’Europe avec 8 mambas verts Dendroaspis angusticeps (HALLOWELL, 1844) et 2 mambas noirs Dendroaspis polylepis (GÜNTHER, 1864), espèce qui n’est présentée que dans 2 parcs zoologiques en France (NDLR : l’une des 2 femelles présentées ici, un très vieux spécimen, est malheureusement décédée de vieillesse depuis l’écriture de cet article. Nous lui rendons ici un petit hommage !). Le directeur, Marc JAEGER, établit les protocoles de nourrissage et dans le cas des mambas, il est celui qui les applique afin de garantir la sécurité de tous. Marc possède des mambas depuis 30 ans et a peaufiné son protocole tout ce temps. Il juge qu’à ce jour, il a atteint un niveau de sécurité élevé et adapté à ses hautes attentes.

Marc JAEGER est le directeur du zooparc Planet Exotica à Royan. Vous pourrez lire l’interview de ce passionné d’herpétologie depuis toujours dans un prochain article.

La dangerosité des mambas

Les mambas sont des chasseurs à vue très actifs. La forme de leur tête fine, longue et pointue permet de disposer d’un champ visuel élargi. Dotés d’une vision tétrachromate et binoculaire indispensable pour évaluer les distances et le relief, les mambas sont des chasseurs redoutablement efficaces. Leurs rétines composées de bâtonnets et de cônes de structures différentes favorisent une acuité visuelle adaptée à leur comportement (source : Venins de serpent et envenimations du Dr Jean-Philippe Chippaux). Le mouvement semble être le déclencheur important lors de la prédation, souvent de façon plus significative que l’olfaction. Marc nous précise que chez les mambas verts, c’est le mouvement des feuilles provoqué par la proie doucement agitée en bout de pince dans le décor qui sera le plus efficace.

Note sur les processus d’apprentissage des animaux

La plupart des processus d’apprentissages simples sont regroupés en 2 catégories :

  • 1) les apprentissages associatifs qui comprennent le conditionnement de type I (pavlovien ou répondant), qualifié de « conditionnement classique », et les conditionnements de type II (skinnérien, opérant, instrumental)
  • 2) les apprentissages non associatifs parmi lesquels on place l’habituation, la sensibilisation et l’empreinte

Le protocole décrit dans cet article s’appuie sur une méthode d’apprentissage par l’habituation. L’habituation correspond à la disparition progressive et réversible de la réponse à un stimulus. Si les stimulations se répètent, la réponse disparaît progressivement. Comme tout processus d’apprentissage, l’habituation répond à un certain nombre de lois (Groves et Thompson (1970).

Exemple de méthode d’apprentissage par l’habituation chez les mambas de Marc Jaeger

1) Le stimulus est : « la mise en présence d’une proie » avec le mamba. La réponse est : « l’attaque en vue de l’ingestion » du mamba sur la proie. Les première fois cette réponse est vive, l’animal est très réactif et donc dangereux pour le soigneur qui le nourri. Les stimuli répétés (les mises en présence des proies à chaque nourrissage), entraînent une diminution progressive de l’amplitude de la réponse, ici de la réactivité du mamba. De plus, l’usage dès le premier nourrissage de proies mortes décongelées permet également de faire diminuer de façon significative la réponse : la proie ne bouge pas, ne se défend pas, ne fuie pas.

2) Plus la méthode de Marc pour présenter les proies sera calme et fluide (stimulus faible), plus la diminution d’amplitude de la réponse (vivacité et réactivité de l’animal) est rapide.

3) Plus la fréquence de présentation du stimulus (fréquence de nourrissage), dans une période de temps donnée, est élevée, plus la diminution d’amplitude de la réponse est rapide et importante. L’animal devient de plus en plus calme et lent dans ses attaques, sa vivacité et sa réactivité sont diminuées.

4) La présentation d’un stimulus de forte intensité (gestes du soigneur trop brusques, trop rapides ou utilisation de proies vivantes, etc.), entraîne un phénomène de déshabituation qui se manifeste par une restauration de la réponse initiale : à nouveau le mamba sera vif et réactif, donc dangereux.

Si l’on cesse de présenter le stimulus (distribution des proies calme et fluide) pendant une durée assez longue, on observe une restauration spontanée de la réponse (vivacité et réactivité de l’animal).

Préparation des rations

Les rations sont composées de souris (Mus musculus) et de rats (Rattus norvegicus), de différentes tailles, selon l’âge des mambas. Ces proies sont données entières et décongelées. Elles sont sorties la veille et placées dans un bac dédié au sein d’un réfrigérateur. Elles sont réchauffées avec de l’eau tiède avant la distribution. Une fois que les rongeurs sont prêts à être donnés, Marc peut passer à l’étape suivante : s’équiper et organiser la distribution.

Marc ainsi que son binôme, Jérôme BURGER, le soigneur dédié aux serpents venimeux, s’équipent pour leur protection personnelle avec rigueur. L’équipement comprend : des chaussures de sécurité renforcées, une paire de protège tibias et des gants HexArmor® Hercules R8E 3180.
La distribution s’organise en fonction du lieu (les serres ou la nurserie) et des animaux nourris (jeunes de l’année, spécimens subadultes ou adultes). Il faut que les proies soient prêtes à être distribuées, que les pinces de nourrissage soient disponibles, ainsi que deux crochets de manipulation et en cas d’urgence une pince de contention. Enfin, il faut se munir des systèmes d’ouverture des habitats (clés des cadenas, ventouse d’ouverture des vitres sécurisées, télécommande des rideaux de sécurité).

Nourrir les jeunes mambas à Planet Exotica

Dans la nurserie les jeunes mambas sont maintenus en fonction de leur taille, dans des terrariums sécurisés par une fermeture à cadenas dont la clé n’est gardée que par Marc et son binôme. Une deuxième sécurité est créée par l’usage d’un petit crochet qui empêche l’ouverture des vitres coulissantes (voir photo). Le nourrissage est effectué aux heures où les animaux sont le plus actifs (température interne des animaux optimale), afin d’obtenir un bon taux de réussite. Bien qu’il puisse y avoir des visiteurs dans le parc à ces horaires, leur présence n’a pas d’influence car la nurserie est isolée. Une vitre épaisse sépare les animaux du parcours de visite et cet endroit se trouve au bout du laboratoire et des quarantaines derrière une porte sécurisée par digicode : la sécurité des visiteurs est ainsi garantie.

Les proies sont positionnées à proximité (quelques mètres) de l’habitat, dans une caisse de distribution accessible aisément par le soigneur. Ainsi, les serpents sont moins stimulés par l’odeur des proies qui ne sont pas à proximité ; trop proches, elles pourraient inciter l’animal à rechercher activement l’origine de l’odeur appétente. Le soigneur serait alors en danger car pourrait être perçu comme un stimulus. Le matériel de manipulation et de contention est à portée de main, en cas de tentative de sortie de l’animal en dehors de son habitat.
Les conditions sont réunies pour ouvrir l’habitat et présenter la proie au jeune mamba vert. Marc ouvre le terrarium et laisse s’écouler quelques instants en surveillant les réactions de l’animal, le but étant d’induire une réflexion chez l’individu et de ne pas instaurer un « conditionnement répondant » basé sur l’ouverture de l’habitat. Ce comportement serait trop dangereux à gérer par la suite : « ouverture du terrarium = nourrissage ». Ce n’est pas, ici, ce que l’on veut apprendre au petit serpent.

Une fois ce temps écoulé, Marc présente au bout d’une pince adaptée la proie choisie pour l’individu et s’approche doucement en agitant très peu la proie afin de bien travailler sa méthode d’habituation. Les mambas attaquent généralement rapidement dès présentation de la proie. Une fois assuré que l’ingestion se passe bien, Marc referme l’habitat et le sécurise avec le crochet anti coulissement sans le cadenas pour ne pas faire trop vibrer le terrarium, autrement le jeune serpent pourrait lâcher sa proie. Chaque petit mamba aura jusqu’à 4 proies de cette façon. Une fois la dernière proie distribuée, Marc sécurise l’habitat avec le cadenas à clé en plus du crochet. Ils sont nourris de cette façon à une fréquence de 2 à 4 proies de taille adaptée, tous les 7 à 14 jours jusqu’à atteindre l’âge adulte.

Nourrir les mambas adultes à Planet Exotica

Dans la serre tropicale où se trouvent un couple de mambas verts, le terrarium est sécurisé par 2 portes à fermeture à double points par clés, possédées uniquement par Marc et son binôme. Le système d’ouverture de l’habitat comprend le levage de la vitre par ventouse : cette méthode assure un rôle sécurisant en protégeant les soigneurs des animaux avec la vitre positionnée en bouclier. De plus, un rideau Dibond® peut être activé pour séparer les animaux (support polyéthylène entouré de plaques en aluminium, rigide et léger).

Le nourrissage est effectué en dehors des horaires d’ouverture afin d’optimiser l’efficacité du protocole d’habituation, le but étant de créer un contexte le plus calme possible, mais également d’annuler tous risques d’interaction entre les visiteurs et les mambas ! Seuls sont présents lors du nourrissage Marc et son binôme. Dans le protocole décrit, il est imposé d’être deux. Cela permet de rester concentré et efficace sur ses tâches qui sont réparties autour de la surveillance du comportement des animaux, la distribution des proies, le respect des procédures de sécurité, etc. Deux paires d’yeux valent mieux qu’une !

Là encore, les proies sont positionnées aux alentours (quelques mètres) du terrarium, dans la caisse de distribution, accessible facilement. Le matériel de manipulation et de contention est à nouveau à portée de main, afin de prévenir les tentatives de sortie et de gérer la remise en terrarium le cas échéant. La pince de contention est à disposition, il s’agira du dernier outil utilisé en cas de problème. Ce type de pince peut provoquer des blessures sur les animaux et ne sont utilisées qu’en cas d’extrême urgence.

Marc peut enfin ouvrir le terrarium et laisse à nouveau s’écouler quelques instants en surveillant les mouvements des animaux, avec l’aide de Jérôme. Puis, il présente au bout d’une pince adaptée la proie à distribuer et s’approche du spécimen le plus proche ou de celui qui manifeste le plus d’intérêt. Le deuxième mamba sera ensuite sollicité. Cette action sera répétée le nombre de fois nécessaire pour que chaque mamba puisse bénéficier de sa ration. Une fois qu’il s’est assuré que l’ingestion de toutes les proies est terminée, Marc « rince » les animaux à l’aide d’un vaporisateur à main. Ce rinçage permet d’enlever l’odeur des proies sur les individus afin de minimiser les risques de prédation entre congénères. Il peut également déclencher un réflexe d’hydratation bénéfique chez les animaux. Une fois cette action terminée, il referme l’habitat et le sécurise en verrouillant les 2 points de fermeture. Ils seront nourris tous les 10 à 14 jours à une fréquence de 4 à 6 proies en été et automne et de 2 à 3 proies en hiver et en période de reproduction.

Concernant les mambas noirs, leur terrarium dans la serre désertique est sécurisé par 4 portes vitrées à fermeture mécanique, équipées de poignées verrouillées par clés. Un cadenas y est ajouté afin de disposer d’une double sécurité et une 3ème action est nécessaire pour ouvrir chaque porte : il faut tourner manuellement le verrou et la poignée. Un rideau de sécurité électrique installé au milieu du terrarium est actionné par une télécommande (que seul Marc possède) lorsqu’il faut séparer les animaux. Par exemple lors d’un nourrissage, afin d’exclure les risques de morsure entre les animaux et de faciliter le travail des soigneurs : un mamba noir adulte est plus facile à gérer que deux ! Le protocole de nourrissage est ensuite identique à celui décrit pour les mambas verts.
Chaque mamba noir adulte sera nourri à une fréquence de 1 à 3 proies (rats de 200 gr) tous les 7 à 14 jours, toute l’année.

Le système de volet électrique télécommandé permet de séparer les deux mambas noir très facilement en toute sécurité. S’agissant d’un volet du commerce à destination du grand public, il est très facile à réparer ou à changer rapidement en cas de panne.

Pour conclure, j’aimerai faire part de mon profond respect pour Marc et son protocole de nourrissage des mambas. Cette envie d’écrire sur ce sujet m’est venue après avoir assisté au nourrissage des mambas noirs. À l’ouverture du terrarium je me suis questionnée : Marc maîtrise-t-il son protocole ? Connait-il bien ces animaux ? Est-il aussi compétent qu’il n’y paraît ? La réponse à ces questions est oui à 100% ! J’ai été impressionnée par sa sérénité permanente et la fluidité de ses gestes, mais surtout par le calme de ses animaux dans ce contexte. Sa méthode d’apprentissage par l’habituation est maîtrisée et efficace. Son expertise dans le maintien et l’élevage des mambas ne fait, à mes yeux, aucun doute. Merci pour la démonstration !

L’auteur :

Charlotte HUBLER Charlotte est gérante et responsable pédagogique de Repti Conseils & Formations depuis 2014, avec une expérience de plus de 20 ans dans le secteur animalier spécialisé. Elle est titulaire des certificats de capacité élevage et vente & transit pour plus de 20000 espèces de reptiles/amphibiens/arthropodes.

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